
Publié le 28.07.2025
La France s’est dotée en mars 2025 d’un nouveau cadre législatif relatif à l’agriculture, avec l’adoption de la loi n°2025-268 du 24 mars 2025, publiée au Journal Officiel le 25 mars. Ce texte s’inscrit dans la continuité des évolutions amorcées depuis plusieurs années et répond à plusieurs enjeux majeurs :
- Le renouvellement des générations agricoles,
- La transition écologique,
- Les attentes sociétales croissantes,
- La nécessité de renforcer la souveraineté alimentaire.
Sans bouleverser fondamentalement les équilibres existants, la loi introduit un ensemble de mesures destinées à encadrer les parcours d’installation, à organiser la transmission des exploitations et à adapter certaines règles juridiques.
À noter que de nombreuses dispositions initialement prévues dans le projet de loi ont été écartées dans la version promulguée. En effet, près d’un tiers du texte a été censuré par le Conseil constitutionnel.
Dès lors, cette loi ne marque pas une fin de cycle mais peut être perçue comme la première étape d’une réforme plus large à venir.
I. Des dispositifs pour faciliter l’installation et la transmission
1- Mise en place du « Bachelor agro »
La loi crée un nouveau diplôme national de niveau bac +3, intitulé « Bachelor agro ». Ce diplôme vise à constituer une référence pour les métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Il permettra d’acquérir des compétences en management, entrepreneuriat agricole, conduite des productions, mais aussi en matière de transition de l’agriculture et de la forêt.
Ce dispositif s’inscrit dans l’objectif de rehausser significativement le niveau de formation moyen des nouveaux actifs du secteur agricole d’ici à 2030.
Parallèlement, la loi introduit un volontariat agricole dans le cadre du service civique. Ouvert aux jeunes âgés de 18 à 35 ans, ce volontariat d’une durée maximale de 6 mois pourra s’effectuer auprès des organisations professionnelles agricoles, des collectivités territoriales, des acteurs du développement agricole et rural (article L.820-2 du Code rural), ainsi que des entreprises de l’économie sociale et solidaire.
2- Expérimentation de l’association agricole
La loi permet désormais à toute personne physique majeure de réaliser un essai d’association en vue d’un projet d’exercice commun d’une activité agricole.
Durant cette période, l’intéressé – qu’il ait ou non la qualité de chef d’exploitation – peut tester un projet d’exploitation en commun, que ce soit au sein d’une société à objet principalement agricole, ou directement avec un ou plusieurs exploitants agricoles.
Sauf dans le cas d’un aide familial, la personne à l’essai est liée par un contrat (de travail, d’apprentissage, de stage, ou d’entraide si elle est déjà exploitante).
L’essai fait l’objet d’une convention écrite, conclue à titre gratuit, pour une durée d’un an, renouvelable une fois. Elle est résiliable à tout moment sans indemnité par l’une ou l’autre des parties. Cette convention détaille notamment les modalités d’accompagnement, par une personne qualifiée.
L’essai n’accorde aucun droit d’associé : ni détention de parts sociales, ni participation aux bénéfices ou pertes.
3- Une aide pour faciliter le passage de relais
Conformément à l’article 21 de la loi, l’État prévoit la mise en place, à partir de 2026, d’une aide au passage de relais. Cette aide sera accessible aux chefs d’exploitation agricole âgés d’au moins 59 ans, exerçant à titre principal, qui cesseront définitivement leur activité et mettront à disposition leurs terres et bâtiments pour une installation aidée.
Cette aide sera versée jusqu’à l’âge légal de départ à la retraite, sans possibilité de cumul avec une retraite de base.
4- Création du réseau « France services agriculture »
Un nouveau réseau d’accompagnement, intitulé « France services agriculture », est instauré pour accueillir, orienter et accompagner les personnes ayant un projet d’installation ou de cessation d’activité, qu’elles soient ou non issues du milieu agricole.
Dans chaque département, ce réseau comprend :
- Un point d’accueil départemental unique pour la transmission et l’installation ;
- Des structures de conseil et d’accompagnement agréées ;
- Des établissements locaux d’enseignement et de formation agricole.Ce service sera accessible à compter du 1er janvier 2027.
Un répertoire départemental unique centralisera les données sur les exploitants concernés, afin de faciliter la mise en relation entre cédants et repreneurs, d’assurer un suivi et de nourrir l’observatoire national installation-transmission, confié aux chambres d’agriculture.
Toute personne ayant un projet de cession pourra prendre contact avec le point d’accueil départemental, qui l’orientera vers les structures compétentes (notamment Cerfrance, identifié comme partenaire majeur).
Un parcours d’accompagnement spécifique à la transmission sera proposé, et des diagnostics agricoles pourront être réalisés en amont de la transmission, en particulier pour évaluer la résilience de l’exploitation au changement climatique. Ces diagnostics seront facultatifs et sans incidence sur l’octroi d’aides publiques.
II. Extension encadrée des activités commerciales accessoires
Les sociétés civiles agricoles (GAEC, EARL, SCEA, GFA exploitants) peuvent désormais exercer certaines activités commerciales accessoires, sans perdre leur caractère civil, à condition qu’elles soient liées à l’activité agricole.
Cela concerne :
- L’achat-revente de produits agricoles d’autres exploitations pour compléter une gamme de vente directe ;
- Les prestations de travaux agricoles pour d’autres exploitants.
Ne sont pas concernées les activités artisanales ou libérales.
Encadrement quantitatif strict
Ces activités sont soumises à des plafonds :
- 20 000 € et 40 % des recettes agricoles annuelles ;
- Pour les GAEC : le plafond de 20 000 € est multiplié par le nombre d’associés, dans la limite de 10, sans dégressivité, sous réserve du plafond des 40 %.
Ces seuils sont inférieurs à ceux admis en fiscalité (article 75 du Code général des impôts : 100 000 € TTC et 50 % des recettes agricoles).
Une incertitude demeure : ces plafonds incluent-ils les activités déjà autorisées, comme la production d’électricité photovoltaïque ? Une clarification est attendue.
Modifications statutaires nécessaires
Pour exercer ces activités, les sociétés doivent modifier leur objet social via un procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire, puis effectuer une déclaration de modification auprès du guichet unique, accompagnée des statuts à jour.
Cas particulier des GAEC
Jusqu’à présent, les GAEC ne pouvaient pas inclure d’activités commerciales dans leur objet social sous peine de perdre leur agrément.
Avec la nouvelle loi, ces limitations sont levées pour les activités désormais explicitement autorisées.
Les GAEC peuvent désormais exercer ces activités commerciales dans la double limite du plafond multiplié par le nombre d’associés (max 10) et de 40 % des recettes agricoles.
Risques en cas de dépassement
En cas de dépassement des seuils autorisés :
- La société civile pourrait être requalifiée en société commerciale de fait ;
- Une imposition distincte s’appliquera.
III. Renforcement des prérogatives des SAFER
La loi renforce le droit de regard des SAFER sur les cessions de propriétés démembrées (nue-propriété et/ou usufruit).
Les notaires devront donc préciser dans les DIA (Déclaration d’Intention d’Aliéner) les motifs et l’intérêt de ces cessions.
Le rôle des SAFER dans ce type d’opérations va s’accroître, avec des précisions réglementaires à venir.
IV. Réforme des régimes sur les haies, l’eau et les ICPE
Unification du régime juridique des haies
- L’article L.1 du Code rural fixe désormais des objectifs chiffrés : + 50 000 km de haies nettes d’ici 2030, pour atteindre 100 000 km gérés durablement.
- Une certification "gestion durable des haies" est instaurée (valable 6 ans, sur la base d’un cahier des charges national – nouvel article L.611-9 du Code rural).
- La loi crée également une autorisation unique pour la destruction de haies, basée sur une définition légale (largeur ≤ 20 mètres, présence d’au moins deux des éléments suivants : arbres, arbustes, autres ligneux)..
- En cas de destruction non autorisée : contravention de 2e classe (déclaration), 4e classe (autorisation). Une replantation compensatoire est obligatoire (article L.412-25 du Code rural).
- Un décret en Conseil d’État et des arrêtés préfectoraux préciseront les coefficients de compensation, en fonction de la densité de haies et de leur valeur écologique.
Assouplissements prévus des nomenclatures ICPE et « eau »
Des allègements des réglementations sur les installations classées (ICPE) et sur l’eau sont prévus, notamment pour les activités d’élevage et la création d’ouvrages agricoles.