Juridique
Exploitation agricole individuelle et divorce : ce qu'il faut savoir !
Publié le 23.05.2024
Il existe plusieurs régimes matrimoniaux pouvant être adoptés lorsque deux époux se marient. Parmi les plus connus, nous pouvons citer :
Régime de la communauté réduite aux acquêts
C'est le régime "légal" : il s'impose à tous les époux qui n'ont pas signé de contrat de mariage devant un notaire.
Ce régime comporte trois masses distinctes de biens : les biens propres de l'un des époux, les biens propres de l'autre époux, les biens communs aux deux époux (les acquêts).
• Biens propres : ce sont les biens possédés par chaque époux avant le mariage ou ceux reçus par succession ou donation pendant le mariage. Chacun des époux n'a aucun droit sur les biens propres de l'autre.
• Biens communs : ce sont les biens acquis pendant le mariage par les époux, y compris les gains, salaires et les revenus de leurs biens propres.
Régime de la séparation de biens
• S'ils choisissent ce régime, les époux doivent établir un contrat devant notaire.
Ce régime ne comporte que deux masses distinctes de biens : les biens propres de chacun.
Les époux gèrent seuls et en toute liberté leur patrimoine respectif. Ils engagent uniquement leurs biens propres envers leurs créanciers personnels. Il n'y a en principe aucun passif commun.
Régime de la participation aux acquêts
S'ils choisissent ce régime, les époux doivent établir un contrat de mariage devant notaire. Ce régime associe les avantages du régime de la communauté de biens à ceux de la séparation de biens.
• Pendant le mariage : tout se passe comme pour le régime de la séparation de biens. Les époux gèrent seuls et en toute liberté leur patrimoine respectif. Ils engagent uniquement leurs biens propres envers leurs créanciers personnels (sauf solidarité fiscale).
• A la dissolution du mariage : on évalue l'enrichissement de chacun des deux patrimoines entre le jour du mariage et le jour de sa dissolution. L'époux, dont le patrimoine s'est le moins enrichi, a le droit de percevoir la moitié de l'augmentation du patrimoine de son conjoint.
Régime de la communauté universelle
• C'est un régime qui a pour principal mérite d'être simple : tous les biens que les époux possèdent au jour du mariage, ceux qu'ils pourront acquérir par la suite forment une seule masse commune.
• De même, toutes les dettes sont à la charge de la communauté, quelle que soit leur nature ou leur origine.
Il est important de bien appréhender le régime matrimonial en fonction de la situation dans laquelle on se trouve au moment du mariage.
Illustration en exemple…
Un agriculteur, exploitant agricole, se marie dans les années 80, sans contrat de mariage (donc, soumis au régime de la communauté réduite aux acquêts). Il possède son entreprise individuelle, laquelle constitue donc un bien propre puisque créée avant le mariage.
Une vingtaine d’années se passe, avant que les deux époux ne décident de divorcer.
A ce moment-là, un certain nombre de problématiques sont soulevées, notamment lors de la liquidation des intérêts patrimoniaux. En effet, les débats ne portent pas sur la propriété de l’exploitation agricole, laquelle est un bien propre qui appartient, sans discussion, à l’époux.
Le débat porte surtout sur les règlements financiers à opérer entre les conjoints et liés au financement de l’entreprise individuelle et des aménagements fonciers pendant toute la durée du mariage.
La première question se pose pour l’acquisition du matériel destiné à remplacer et améliorer le matériel propre amorti et, en deuxième lieu, sur le financement de ce matériel, au moyen de prêts longue durée, toujours en cours au moment du divorce, lors de la liquidation du régime matrimonial.
Enfin, une dernière question concerne la construction d’un hangar sur un terrain appartenant en propre à Monsieur, ainsi qu’une maison édifiée sur un autre de ces terrains.
A défaut de consensus des conjoints sur des solutions pratiques pour régler ces questions, l’épouse assigne Monsieur en partage du régime matrimonial et les comptes commencent…
Le tribunal et la Cour d’appel tranchent ces questions, puis le mari forme un pourvoi en cassation.
La Cour rappelle les textes du Code civil régissant les diverses dispositions relatives à ce type de litige, puis apporte les précisions suivantes :
1/ les solutions pratiques concernant le matériel de l’exploitation
L’enjeu financier de la liquidation était important concernant le matériel : en effet, selon l’expert judiciaire en charge de l’évaluation des biens, les biens des époux étaient évalués à 82 350 euros, alors que le matériel de l’entreprise de travaux agricole était, quant à lui, évalué à la somme de 573 333 euros.
C’est cette dernière somme que le tribunal va retenir pour déterminer la récompense due.
L’époux, exploitant, conteste ce calcul et invoque, dans son pourvoi en cassation, que la communauté, bénéficiant des revenus de l’exploitation, doit supporter les dettes qui sont à la charge de la jouissance de ces biens.
Pour faire simple, l’époux considère donc que la communauté n’a droit à aucune récompense lorsque le paiement a été fait au moyen de fonds communs et donc que l’entretien et le remplacement du matériel amorti sont des charges de jouissance supportées par la communauté.
2/ la question du financement de l’acquisition du nouveau matériel
Lors du divorce, le passif commun était de 378 534 euros. Tout le débat porte donc sur l’imputation définitive de ce passif comprenant, pour l’essentiel, le capital restant dû pour les emprunts contractés par les époux pour financer l’acquisition du matériel de l’exploitation appartenant en propre à Monsieur.
Pour la cours de cassation, seul le solde des emprunts concernant le remplacement d’un matériel amorti doit être supporté à titre définitif par la communauté ; le solde relatif à l’acquisition d’un nouveau matériel doit être supporté par Monsieur uniquement.
3/ Concernant la construction du hangar
Sans discussion possible, ce hangar appartient donc à Monsieur, puisqu’édifié sur un terrain lui appartenant en propre.
Le débat porte donc ici sur la récompense due à la communauté. L’époux indique avoir lui-même réalisé la construction du hangar et qu’en conséquence, seul le coût du matériel de construction (10 700 euros) doit donner lieu à récompense au profit de la communauté.
La Cour d’appel refuse cette demande considérant qu’il n’est pas possible de déterminer la part de Monsieur dans la réalisation des travaux. Elle fixe ainsi une récompense de 26 250 euros en faveur de la communauté.
La Cour de cassation ne l’entend pas ainsi. Elle considère en effet qu’il appartenait aux juges de faire l’évaluation de la part personnelle de l’époux dans la réalisation des travaux, au moyen d’une expertise qu’ils auraient dû ou pu ordonner.
4/ Concernant l’édification de la maison
Le débat est exactement le même que pour le hangar et le montant de la récompense en faveur de la communauté est une nouvelle fois discuté.
5/ Ce qu’il faut retenir…
La liquidation du régime matrimonial en présence d’un époux exploitant est très complexe et l’interprétation des règles à appliquer l’est également.
Cela est d’autant plus préoccupant lorsque l’on sait que la situation dans laquelle il n’a pas été conclu de contrat de mariage est celle constatée le plus couramment.
Par ailleurs, la liquidation du régime matrimonial, dans ce cas et dans beaucoup d’autres portant sur le même principe, a porté sur une dizaine d’années, ce qui est extrêmement long pour chacun des époux et constitue une charge mentale certaine.
Se pose donc la délicate question du choix du régime matrimonial
En présence d’une exploitation propre à l’un des époux lors du mariage, il pouvait donc paraître opportun d’adopter le régime de la séparation de biens, via un contrat de mariage effectué devant Notaire.
Cela aurait eu pour effet de rendre personnels les revenus et bénéfices de l’entreprise au profit du seul époux. Les financements des matériels, améliorations et constructions seraient venus des résultats de l’exploitation.
Lors du divorce, la cour n’aurait eu à trancher que la question de la prestation compensatoire entre époux.
Les époux, pensant que leur relation serait durable, ont opté pour le régime de la communauté réduite aux acquêts, qui avait pour effet un partage dans le temps des résultats de l’exploitation agricole entre les époux, ce qui s’est répercuté au moment de la liquidation de ce même régime.
Il faut donc retenir que le régime matrimonial est un cadre juridique qui commande toutes les opérations entre époux. Il est possible de l’adapter, d’en changer en fonction des situations de la vie, conformément aux disposition légales en vigueur.